Aspe (Alicante)

Étude des carrières antiques de Ferriol-Elche

Le programme « Aspe » s’inscrit dans le cadre plus large de l’étude des carrières antiques de Ferriol-Elche. Notre objectif est de saisir les usages des pierres exploitées depuis le Ve siècle av. J.-C. (notamment pour la Dame d’Elche et de nombreusdes sculptures ibériques) dans un temps long, de suivre les cheminements de ces pierres et donc de saisir le maillage des chemins et voies qu’elles empruntaient. Un tel travail a déjà été conduit pour les axes d’échange au sud du massif de Ferriol, tant vers Elche, La Alcudia et Santa Pola (occupés dès le Ve s. av. J.-C.) que vers l’Est, vers Alicante et l’Ouest, vers Crevillente. Une même enquête est à mener vers le nord, région traversée par la Via Augusta, c’est à dire vers Aspe et Montforte del Cid (occupés dès le Ve s. av. J.-C.) qui compte de nombreuses sculptures faites dans la pierre de Ferriol. Dans cette même région, a été reconnu au sud-est d’Aspe, au lieu dit « Tres Hermanas », un « habitat » dominant l’ancienne voie de Aspe à Elche (Fig. 1 et 2).

Notre programme a deux objectifs principaux, l’analyse des voies antiques et l’étude de ce que par commodité nous appelons un « habitat », en fait un ensemble de structures dispersées sur les pentes de trois puissantes collines alignées d’Est en Ouest, les « Tres Hermanas ».

La prospection de « Tres Hermanas »

Le site de « Tres Hermanas » s’étend sur les pentes de trois fortes collines culminant entre 365 m et 370 m et dominant d’environ 100 m la vallée parcourue par la voie ancienne qui relie Aspe et Elche (Fig. 3). La prospection sur le terrain a été complétée d’une prospection aérienne.

Structures et matériel sont dispersés essentiellement sur les pentes méridionales des collines « A » et « B » et sur une puissante avancée à l’aplomb de la colline « B » sur un espace d’environ 7 hectares (Fig. 4). Le mode d’occupation, tel que nous avons pu l’analyser lors de cette première enquête, est caractérisé par la discontinuité.

Les données réunies peuvent être classées en quatre types:

  • Des restes de construction de petite taille (quelques dizaines de m2), de forme quadrangulaire ou rectangulaire, au regard des restes visibles.
  • Des chemins aménagés, larges de 1m environ, délimités de part et d’autre par des pierres plates posées de champ dans le sol rocailleux (Fig. 5).
  • Des carrières, de datation délicate, mais qui semblent « modernes », destinées à produire des blocs quadrangulaires et des moellons.
  • Quelques dépôts sédimentaires qui s’étirent sur les pentes. Certains contiennent des fragments de céramique : l’un avec céramique modelée de l’âge du Bronze.

Dans l’état actuel, aucune organisation ne semble présider à ces structures. Relevons que la plupart d’entre elles se situent sur des plateformes, notamment celles que nous avons étudiées en détail (THO et THf), qu’aucun reste d’enceinte n’a été identifié. A ce jour la structure qui nous paraît offrir la plus forte monumentalité est THO.

Le matériel céramique reconnu dans les secteurs fouillés, dans les dépôts et éboulis, appartient pour l’essentiel à l’époque ibérique, notamment sur les pentes du Cerro « B » ; mais sur les pentes du Cerro « A » une partie est datable à l’âge du Bronze.

Ce premier bilan est à approfondir, en étant attentif à l’aspect discontinu des restes construits ; y a t’il une volonté délibérée d’une occupation dispersée ou (et ?) faut –il penser à un possible phénomène de destruction par ravinement sur des pentes souvent fortes ?

Les opérations de fouilles

THO

Sur une forte plateforme à l’aplomb du Cerro « B », à une hauteur de 326 m, un édifice carré, de 9m de côté, a été l’objet d’une fouille exhaustive. Il s’agit, de fait, d’une reprise de fouille car dans les années 1980 cet édifice avait été partiellement vidé. Notre travail a consisté à poursuivre le dégagement (amorcé dans les années 1980) de l’intérieur et des abords.

Cet édifice (Fig. 6), isolé, compte trois pièces rectangulaires (A, B, C), parallèles, précédées d’une pièce transverse (D) sur laquelle s’ouvrent ces pièces, elle même s’ouvrant vers le sud par une porte large de 1, 97m.

L’espace E est un éboulement, avec au sol quelques fragments de céramique ibérique.

Dimensions intérieures des pièces : A : 5, 29 x 1,71 m ; B : 5, 31 x 2,76 m ; C : 5, 43 x 1, 65 m ; D : 2, 01 x7, 80 m.

Les murs, larges de 0, 50 à 0, 83 m, conservés sur une hauteur de 0,50/0, 60 m, sont un solin au sommet plan et régulier ; des murs d’argile qui le surmontent un témoignage est conservé avec une couche d’argile jaunâtre qui recouvre toutes les pièces. L’édifice est encastré dans la roche en place, dans un espace parfaitement taillé et ajusté aménagé avant la construction des murs. Le sol des différentes pièces taillé dans la roche en place est nivelé et présente une légère pente du nord vers le sud.

Aucune installation importante n’a été relevée dans ces pièces (seulement trois foyers de faible ampleur, un dans la pièce A et deux dans la pièce B) et le matériel céramique – au bas de la couche d’argile jaunâtre- est particulièrement indigent, constitué de quelques fragments de céramique ibérique sans décor ou à décor de bandes.

THf

A 70 m au nord-ouest de THO, l’édifice THf (également en partie spolié dans les années 1980) se situe à 310 m d’altitude sur une plateforme de 5 m de large, à mi pente du cerro « B » (pente de 20%). Cet édifice compte 3 pièces, mais la fouille 2014 a concerné les deux pièces occidentales, dont le mur nord est l’élément structurant majeur. Ce mur a pu être suivi sur 7, 11m mais sa longueur totale doit avoisiner les 10m, en intégrant la troisième pièce située à l’est (fouille 2015).

Le matériel céramique est, là aussi, réduit : quelques fragments d’amphores ibériques, des bords de tinajas, quelques fragments peints de bandes. Deux foyers ont été reconnus, livrant quelques fragments de vaisselle de cuisine. Et à proximité une fibule en bronze de la Tène, longue de 6 cm.

Bilan

En envisageant l’ensemble du site, nous pouvons relever la probable existence d’un habitat de l’âge du Bronze sur le Cerro « A ». Les édifices ibériques se situent plutôt sur les pentes et plateformes du Cerro « B », et au dessus du chemin « ancien » qui conduit à Elche.

La dispersion des édifices, des édifices isolés, est, à ce jour, le caractère le plus étonnant de ce site. Mais l’architecture des édifices constitue un autre dossier à approfondir.

L’édifice THO, actuellement le seul intégralement dégagé, avec sa division interne en trois pièces rectangulaires et une pièce d’accès largement ouverte vers le sud, a peu de parallèles ; le plus proche, et de la même période, est fourni par ce que les archéologues ont baptisé « Temple A » de Campello (Alicante). De fait cet ensemble est particulièrement original dans la région contestane où aucun habitat dispersé ne nous est connu.

Les interrogations-à lever….. sont multiples. S’agit-il d’un habitat permanent ou non ? Relevons, en terme de fonction, que à partir de ces édifices fouillés, et surtout de THO, on observe ou on contrôle les circulations et/ou tous les habitats du sud de la province d’Alicante, de la basse vallée du Segura, du massif de Ferriol, d’Elche, de la Picola (Santa Pola), soit selon un angle de plus de 180°. Cette fonction de contrôle pourrait être rattachée ou liée à un habitat – indéterminé à ce jour- assurant une autorité sur la région. L’hypothèse d’un sanctuaire a été aussi avancée. Certes, mais à ce jour aucun objet ayant un quelconque rapport avec un culte n’a été trouvé.

Objectifs

Face à ces interrogations, le programme 2015-2016 a comme objectif majeur de cerner la fonction de ces édifices isolés en fouillant quelques unes de ces structures. Pour reconnaître la fonction de ce site de Tres Hermanas, il convient de reprendre aussi une cartographie de l’occupation du territoire dans la région comprise, du Nord au Sud, entre Elda et Guardamar del Segura et, de l’Est à l’Ouest, de Alicante à Crevillente pour les périodes Protohistorique, antique et médiévale.

L’enquête se poursuivra dans le cadre plus global des cheminements au nord du massif de Ferriol (le secteur des carrières antiques d’Elche), enquête sur le réseau des voies antiques au nord d’Aspe, en relation avec le tracé de la Via Augusta.