L'eau à Baelo Claudia

Techniques de construction et gestion des réseaux

À l’extrême sud de la péninsule Ibérique, en Andalousie, la petite ville romaine de Baelo Claudia constitue un des sites majeurs de la province romaine de Bétique. Si depuis près d’un siècle, la Casa de Velázquez a largement contribué à la mise au jour de ses édifices publics, la question de l’eau dans la ville n’avait pas encore été abordée de manière exhaustive. Depuis 2013, la réalisation d’une série de campagnes de prospections pédestres et de sondages archéologiques a permis d’établir que son équipement hydraulique est particulièrement bien développé. Or, dans une région soumise régulièrement à de grandes périodes de sécheresse, l’accès à l’eau demeure un enjeu essentiel. Il conditionne bon nombre de moments de la vie quotidienne. De l’accessibilité découle la maîtrise de cette ressource naturelle afin de satisfaire les activités domestiques, économiques, cultuelles, sportives ou politiques. Elle constitue une des composantes essentielles du paysage en perpétuel renouvellement durant l’Antiquité.

Baelo Claudia est un cas d’étude particulièrement intéressant pour aborder cette question puisque la ville dispose de trois aqueducs qui alimentaient l’ensemble de la ville tels que le quartier des temples, le forum, le théâtre, les habitations ou encore les édifices thermaux.

Si aucune étude globale n’avait été développée jusqu’à aujourd’hui, un grand nombre de découvertes de structures hydrauliques de diverses natures ont pourtant été faites en un siècle. On peut citer les travaux de P. Paris en 1914, de M. Ponsich dans les années 1960-1970, de A. Jiménez en 1973, de Cl. Domergue dans les années 1960-1980, de P. Sillières en 1995, pour les aqueducs et la fontaine monumentale du forum, sans compter les découvertes plus sporadiques et très faiblement étudiées que sont le château d’eau, les bassins de décantation, les tuyaux en plomb ou les égouts découverts dans les espaces commerciaux ou privés. Or les prospections pédestres préliminaires de 2013 et 2014, complétées par des sondages archéologiques en 2015-2016, ont révélé l’exceptionnel état de conservation de ces réseaux hydrauliques, du fait de la faible urbanisation de ce territoire. Ces travaux ont mis en évidence l’existence de structures hydrauliques inédites et démontrent l’intervention précoce d’ingénieurs romains spécialisés. À titre d’exemple, l’aqueduc de Punta Paloma présente des caractéristiques parmi les plus remarquables, en particulier différents types de ponts permettant au canal de franchir les vallées et dont les morphologies sont intimement liées au contexte topographique ; les puits de rupture de pente (dispositif de ralentissement du débit de l’eau) pour lesquels ces travaux ont permis d’établir un lien évident entre ces ralentisseurs et les ponts-aqueducs, caractéristique que l’on retrouve également sur les conduits de Cordoue en Espagne, de Cherchell en Algérie et de Zama et de Dougga en Tunisie ; ou encore, un château d’eau, jusqu’alors identifié comme une citerne, et qui est comparable au château d’eau d’Ostie. En outre, les sondages archéologiques réalisés dans la ville haute sur un tronçon de l’aqueduc de Realillo prouvent que contrairement à ce qui est traditionnellement admis, les quartiers situés au nord du théâtre – qui couvrent près de la moitié de la superficie de la ville – conservent encore des vestiges en élévation.

Ainsi, l’objectif de ce nouveau programme de recherche qui sera développé durant les cinq prochaines années et soutenu par la Casa de Velázquez et le laboratoire AUSONIUS de Bordeaux, est de proposer une étude systématique de l’ensemble des composantes des réseaux d’eau et d’établir une chronologie. Il a pour ambition à la fois de restituer la cartographie des équipements de la ville, d’analyser les techniques de construction et de fabrication des ouvrages et du mobilier hydraulique urbain ; de réaliser des sondages inédits sur des points spécifiques du réseau et de le replacer dans son contexte géographique. Le caractère novateur de cette recherche, par son approche systématique et globalisante, s’appuie également sur l’application de nouveaux outils méthodologiques (drone muni d’appareil photographique, photogrammétrie, analyses archéométriques des matériaux, prospections géophysiques) et sur une approche pluridisciplinaire, abordant par exemple les questions de sismicité, en collaboration avec l’Université d’Aix-la-Chapelle. Au-delà de l’analyse technique, ce projet propose de restituer les usages de l’eau et ses évolutions par une population implantée aux confins de l’empire romain d’Occident, à l’interface de la Méditerranée et de l’Atlantique. Ce projet se décline en deux parties, intimement liées : l’étude du réseau extra-muros que constituent les aqueducs et intra-muros, c’est-à-dire l’ensemble des destinataires, château d’eau, bassins privés, fontaines publiques, bassins du théâtre etc… Ce projet de recherche offre la possibilité d’étudier dans de bonnes conditions, le réseau d’eau complet d’une ville de l’Hispanie romaine, à l’image des travaux exécutés à Pompéi ou Ostie par exemple. Cette recherche collaborative et pluridisciplinaire viendra ainsi compléter les travaux sur le forum, le Capitole, le théâtre ou les cetariae de Baelo Claudia.