Axes et objectifs du programme

Les matières premières concernent tous ces produits naturels qui sont en début de chaîne opératoire et qui contribuent à réaliser principalement des produits manufacturés. Il s’agit de matériaux bruts apprêtés, comme les minerais, les pierres, les roches décoratives, les pierres spéculaires, les terres, la laine, le bois ou encore l’argile, mais aussi des produits issus d’une première phase de traitement, comme l’alun, les produits métalliques semi-finis – barres et lingots –, le verre brut, les matières tinctoriales ou encore le cuir. On y adjoindra aussi les terres cuites architecturales, qui, bien que résultant de la transformation d’une matière première, répondent aussi à la définition de matière première (Boucheron et al. 2000). Il s’agit donc d’un spectre de matériaux extrêmement ample que nous n’avons pas d’emblée voulu restreindre. En revanche, pour circonscrire l’enquête, ont été exclus tous les produits agricoles, comme les grains ou encore le vin et l’huile, présentant des problématiques plus spécifiques.

Les matières premières ne sont pas en effet des commodities quelconques :

  • d’abord parce qu’elles ont eu un rôle important  dans l’histoire des techniques: elles furent un élément  fondamental des chaînes de production aussi bien comme « input » dans des processus de production (manufacturiers, industriels), que comme « output », puisqu’elles sont elles-mêmes issues d’un traitement plus ou moins complexe de ressources naturelles (minerai, …) (Burnouf et al. 2008).
  • ensuite, parce que, par leur volume ou leur masse – et Chris Wickham (2005) rappelait encore récemment combien il ne fallait pas négliger cette donnée bien concrète en histoire économique –, elles ont généré des trafics, nécessité des investissements matériels et financiers, suscité des moyens humains remarquables.


C’est pourquoi l’analyse du marché des matières premières permet de mieux articuler ce que nous savons des processus ou mode de production (notamment leurs aspects techniques) avec les impératifs et les formes de l’échange (Picon 2008) : une perspective qui demeure finalement peu répandue, faute de sources, sans doute, mais aussi faute d’intérêt.

La définition, à la fois restrictive et ample, de la notion de « matière première » permet de s’intéresser à un ensemble de produits qui :

  • en raison de leur mode de production sont restés très proches des « ressources naturelles » et leur circulation/commerce peut être conditionné par contraintes des milieux naturels.
  • en raison de leur caractéristiques intrinsèques souvent particulières (volume, poids, forme, quantité…) sont susceptibles - plus que d’autres, même si beaucoup d’analyse reste à établir - d’avoir laissé des traces matérielles observables de leur circulation :  infrastructures, aménagements adaptés des lieux de transit, de commerce, moyens de transport (bateaux, charriots, train de mulets…) qui pourraient autoriser des comparaisons.
  • en raison de leur caractère commun (comme les terres, les pierres, etc.) ou au contraire de leur rareté ont fait l’objet de transactions que l’on qualifiera de particulières (sans véritable concurrence, par exemple), qui les distinguent a priori des produits manufacturés plus ordinaires soumis  davantage aux aléas du ‘marché’ (conditionnés par l’offre et la demande). En sorte, qu’ils permettent d’explorer les limites des concepts classiques du « jeu de l’échange ».


L’intention est donc de proposer un bilan de l’état des connaissances du marché des matières premières, fondé notamment sur l’analyse fouillée de plusieurs dossiers choisis, avant de formuler des conclusions à la fois théoriques et prospectives (notamment sur le plan méthodologique). Pour faciliter l’approche, trois thèmes d’études ont été retenus :

  • les lieux des échanges et, en particulier la question du stockage ;
  • les moyens et les modalités des échanges : circulation, routes, vecteurs ;
  • Les acteurs et l’organisation du  marché.


Chaque thème fera l’objet d’un ateliers-séminaire organisé autour d’une dizaine d’interventions longues permettant dans un second temps la discussion avec les assistants. Le premier atelier, intitulé « Les lieux des échanges et du stockage », a eu lieu à l’École française de Rome les 25 et 26 octobre 2013. Le second sera accueilli par la Casa de Velázquez à Madrid les 23 et 24 octobre prochains ; il sera dédié aux « Moyens et modalités des échanges ». Le troisième, autour de la question de l’organisation et des acteurs du marché, se déroulera à l’automne 2015 dans un lieu encore à définir.

La question du marché des matières première est examinée ici sur le temps long, l’Antiquité, romaine en particulier, et le Moyen Âge, ce qui circonscrit le cadre des travaux à la Méditerranée occidentale, sans exclure pour autant des “incursions/excursions” du côté de l’Orient ou dans d’autres régions périphériques, le nord de l’Europe notamment. Le temps long ne signifie pas d’autre part chercher à tout prix des continuités entre l’Antiquité et le Moyen Âge. Il s’agit avant toute chose que chaque période s’enrichisse des apports de l’autre, en termes de problématiques, d’aspects méthodologiques ou de conclusions.

Bibliographie indicative

  • ANDREAU, Jean (2010), L'économie du monde romain, Paris.
  • ARNOUX, Mathieu (1998), « Matière première et innovation technique, marché du fer : les logiques de la carte sidérurgique de l’Europe (XIIIe-XVIe siècle) », dans Gli insediamenti economici e le loro logiche, Naples.
  • BOUCHERON, Patrick, BROISE, Henri et THÉBERT, Yvon (éd.) (2000), La brique antique et médiévale. Production et commercialisation d'un matériau (Saint-Cloud, 16-18 novembre 1995), coll. École française de Rome, 272, Rome-Paris.
  • BURNOUF, Joëlle, BECK, Corinne, BAILLY-MAÎTRE, Marie-Christine, GUIZARD-DUCHAMP, Fabrice, DUCEPPE-LAMARRE, François, DURAND, Aline et PUIG, Carole (2008), « Société, milieux, ressources : un nouveau paradigme pour les médiévistes »,  dans Être historien du Moyen Âge au XXIe siècle. Paris, p. 95-132.
  • DOMERGUE, Claude (1994), « Production et commerce des métaux dans le monde romain : l’exemple des métaux hispaniques d’après l’épigraphie », dans Epigrafia della produzione e della distribuzione, Actes de la VIIe Rencontre franco-italienne sur l’épigraphie du monde romain (Rome, 5-6 juin 1992), Collection de l’École française de Rome, 193, Rome, pp. 61-91.
  • DUFY, Caroline et WEBER, Florence (2007), L’ethnographie économique, Paris.
  • FELLER, Laurent, GRAMAIN, A. et WEBER, F. (2005), La fortune de Karol. Marché de la terre et liens personnels dans les Abruzzes au Haut Moyen Âge, Rome.
  • FELLER, Laurent et RODRÍGUEZ, Anna (éd.) (2013), Objets sous contrainte : circulation des richesses et valeur des choses au Moyen Âge, Paris.
  • FELLER, Laurent et WICKHAM, Chris (éd.) (2005), Le marché de la terre au Moyen Âge, Rome.
  • MCCORMICK, Michael (2001), Origins of the European Economy AD 300-900, Cambridge.
  • PICON, Maurice (2008), « Production artisanale et manufacturière à l’époque romaine. À propos de L’histoire brisée d’Aldo Schiavone » dans Yves Roman et J. Delaison, L’économie antique, une économie de marché ?, Paris, pp. 191-214.
  • POLLINI, Ayrton (2012), « Entretien avec Jean Andreau », dans P. P. Funari, A. Pollini (éd.) Mercato. Le commerce dans les mondes grec et romain, Paris, 2012, pp. VII-XX.
  • ROMAN, Yves et DELAISON, Julie (2008), L’économie antique, une économie de marché ?, Paris.
  • TCHERNIA, André (2011), Les Romains et le commerce. Naples/Aix-en-Provence.
  • VERNA, Catherine, « Élites rurales, industries et fortune (Catalogne, Vallespir, XIVe-XVe siècle) », Mélanges de l’École française de Rome - Moyen Âge [En ligne], 124-2 | 2012, mis en ligne le 23 septembre 2013, consulté le 16 octobre 2013. URL : mefrm.revues.org/913.
  • WICKHAM, Chris (2005), Framing the Early Middle Ages. Europe and the Mediterranean, 400-800, Oxford University Press.