Miracles d'un autre genre

Le miracle en dehors de la littérature hagiographique au Moyen Âge

Crédit photo/crédito foto: Carlos Sanchez

22JANVIER 2010
PARIS
Journée d'étude

Coord. : OLIVIER BIAGGINI, BÉNÉDICTE MILLAND-BOVE
Org. : Université de Paris III, Casa de Velázquez

Résumés des communications


AMAIA ARIZALETA, en collaboration avec JOHAN PUIGDENGOLAS (Université Toulouse II)
Le miracle exégétique : un mode poétique de conceptualisation du pouvoir (deux récits alexandrins)

Nous étudierons deux fragments du Libro de Alexandre (poème anonyme écrit en castillan dans le premier tiers du XIIIe siècle) : l’entrée d’Alexandre le Grand dans Jérusalem et la réclusion du peuple maudit derrière les montagnes Caspiennes. Le premier épisode est structuré autour d’une double vision qui place au premier plan la figure sacrée du Grand Prêtre, que le conquérant grec déchiffre et interprète, concluant qu’il s’agit d’un envoyé divin. Le deuxième épisode présente à nouveau le roi Alexandre écoutant et commentant des épisodes bibliques, prenant des décisions à la suite de ces commentaires, décidant enfin de prier pour que Dieu déplace les montagnes. Les deux épisodes sont liés par le jeu narratif des miroirs qui tendent au monarque une lecture possible du temps et de l’espace royal, de son cheminement biographique et de la mort qui l’attend. Le personnage central du poème apparaît donc comme un exégète actif dans l’exercice de son gouvernement. Le poète, quant à lui, ‘invente’ (trouve) un scénario compréhensible pour l’illustration des vérités spirituelles et politiques, au moyen d’une gradation de la rhétorique de la répétition, se servant, à l’instar de son héros monarchique, de l’outil exégétique pour redonner du sens à la tradition et pour donner à voir la nécessaire cléricalisation contextuelle du souverain.

VIRGINIE DUMANOIR (Université Rennes II)
De l’écriture du miracle au miracle de l’écriture dans la poésie des chansonniers castillans du XVe siècle

Nous nous intéresserons aux textes recueillis dans les chansonniers entre 1360 et 1520, profitant de la riche collection offerte par El Cancionero del siglo XV, publié par l’Université de Salamanque sous l’égide de Brian Dutton. La lecture de cette poésie permet de réfléchir à des pratiques d’écriture dont les modulations sont loin de se limiter aux simples aléas de poèmes de circonstances. Les chansonniers de cours n’ont pas pour vocation la diffusion des récits miraculeux, mais leur public les connaît et les auteurs les exploitent dans leur pratique poétique. Rien d’étonnant à ce que des poèmes d’inspiration religieuse les rapportent, et ils sont présents dans les chansonniers castillans du temps. Rien de très nouveau non plus dans la réécriture amoureuse des miracles de la foi, dont le chemin avait été tracé par la sacrilège divinisation de l’aimée sous la plume des troubadours. L’écriture des miracles offre aux poètes l’opportunité de métaphores et de comparaison pour dire l’hyperbole de la souffrance et l’espérance de l’impossible. Plus étonnant est le statut de l’écriture des miracles dans les poèmes de cour. Cette écriture est souvent brève, adaptées aux exigences de l’oralité courtoise, et elle ne distingue pas toujours clairement les miracles chrétiens des récits fabuleux de l’Antiquité. Elle ne se limite pas non plus à fournir aux poètes des figures de comparaison, mais elle participe d’une modalité de réflexion métapoétique, qui s’appuie sur l’écriture du miracle pour tenter de dire le miracle de l’écriture.

CARLOS HEUSCH (ENS-LSH, Lyon)
Théorie du miracle dans l'Espagne médiévale

Dans cette communication, Carlos Heusch se propose d’étudier comment le miracle est doté dans les discours médiévaux castillans d’une efficacité discursive qui va au-delà de la stricte sphère théologique ou hagiographique. L’analyse des discours théoriques sur le miracle tirés de textes ne relevant pas directement des domaines mentionnés nous oriente sur la fonctionnalité politique et scientifique du miracle et comment il s’intègre dans l’ordre normatif et épistémologique d’ici-bas. En outre, ces discours nous renseignent sur les limites d’une véritable théorisation du miracle dans l’idée que, par définition, celui-ci devrait pouvoir échapper à la systématisation qu’exige le travail de théorisation.

JEAN-PIERRE JARDIN (Université Paris III)
De Covadonga à Las Navas de Tolosa. Batailles et miracles dans l’espace astur-léonais et castillan au Moyen Âge

La fondation du royaume asturien a très tôt été liée dans les chroniques à une intervention miraculeuse de la Vierge, sans laquelle la victoire de Pélage à Covadonga aurait été impossible, et l’installation des envahisseurs musulmans dans le nord-ouest de la péninsule Ibérique, totale et définitive. Ce miracle fondateur, qui légitime l’action politique du chef de guerre cantabre (même si on lui attribue par ailleurs des origines wisigothiques plus acceptables) en montrant la justesse de son combat aux yeux de Dieu, aura des échos tout au long du Moyen Âge, les successeurs –léonais puis castillans– de Pélage bénéficiant dans leur entreprise de Reconquête de l’appui actif du monde céleste. Ce sont ces miracles liés à l’activité guerrière des souverains asturiens (Pélage), léonais (Ramire Ier) et castillans (Alphonse VIII), qui seront étudiés ici à travers les récits qu’en fait l’historiographie contemporaine et/ou postérieure : miracle de Covadonga, apparition de saint Jacques à Clavijo, double version du miracle de la croix à Las Navas de Tolosa…

LYDIE LANSARD (CEMA)
Le voile de Véronique ou la réécriture d'un miracle à double détente dans les réécritures vernaculaires de la Vengeance Nostre Seigneur

Dans l'Evangile de Nicodème, le récit du miracle de Véronique oscille entre deux motifs: celui de la guérison de l'hémoroïsse témoin au procès du Christ, ou celui de la sainte femme au saint voile lors de la Crucifixion. Le second motif sera le plus fécond au Moyen Age et fera passer Véronique à la postérité. On le retrouve aussi bien dans les mystères de l'automne du Moyen Age que dans des textes historiographiques en prose comme la Vengeance Nostre Seigneur.
Notre communication portera sur les réécritures vernaculaires de ce dernier texte et questionnera la transposition du miracle dans un nouveau genre, dans un nouvel espace poétique. Cet épisode trouve ainsi une autre portée: le saint voile de Véronique guérira à son tour l'empereur mourant et constituera l'origine de la destruction de Jérusalem et de la conversion de l'empire romain au Christianisme.

CHRISTIANE COSME (Université Paris III)
La relation de miracles dans l’Histoire des Lombards de Paul Diacre (720-799)

Dans son Histoire des Lombards, Paul Diacre, auteur contemporain de la Renovatio engagée par Charlemagne, entreprend de présenter, en  l'inscrivant dans une continuité historique, un peuple que le souverain franc vient de mettre sous sa coupe. L'historiographe recourt toutefois à différentes techniques de mise en récit pour souligner la spécificité d'un peuple dont il est lui-même issu: la relation de miracles est l'un des procédés qui lui permet, dans un texte non hagiographique stricto sensu, de définir, en creux, l'importance des figures majeures de l'histoire lombarde. Notre étude entend relever les moments d'insertion de ce type de récit, les procédés narratologiques attachés à ces passages de l'économie narrative, pour tenter de dégager les enjeux fondamentaux du recours à une modalité textuelle rarement illustrée, à l'époque, dans un domaine historiographique.

DOMINIQUE DEMARTINI (Université Paris III)
La mort d'amour, miracle du roman ?

Il s'agira de montrer, en s'appuyant sur Pyrame et Thisbé, Cligès et le corpus tristanien, comment la représentation romanesque des effets de l'amour –notamment la mort d'amour– joue avec les marques du récit hagiographique pour composer le miracle romanesque.

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01/03/2022 - Espagnol