Le succès du genre épistolaire au haut Moyen Âge

À partir de l’Antiquité tardive s’épanouit une belle littérature épistolaire avec quelques corpus particulièrement significatifs, en premier lieu chez les Pères de l’Église. Signalons ainsi la correspondance d’Ambroise de Milan dont une nouvelle édition est actuellement en préparation. Simultanément, ce genre se diversifie car la lettre théologique de l’époque apostolique s'efface au profit d'une correspondance épiscopale très variée, composée à la fois de missives plus personnelles, de lettres doctrinales, de lettres synodales transmettant les décisions aux absents et de lettres pontificales qui deviennent vite les décrétales. Certaines lettres échappent même à toute classification stricte, comme celles de Grégoire le Grand au roi wisigoth Reccarède, dans lesquelles le pape dévoile ses sentiments pour mieux faire passer son enseignement. D'autres émanent de moines et de laïcs.
Toutes ces lettres constituent parfois de véritables corpus qui attirent l’attention des chercheurs, tout particulièrement depuis une dizaine d’années, telles les correspondances de Licinien de Carthagène, Oliba de Ripoll, Frothaire de Toul ou emcore le Codex Carolinus. En ce qui concerne les lettres pontificales, les historiens disposent des premiers volumes des Regesta pontificum romanorum en cours de publication, d’instruments de travail comme le répertoire des collections canoniques de L. Kéry et la Clavis Canonum de L. Fowler-Magerl et de plusieurs études historiques.

La plasticité de la pratique épistolaire

La réévaluation du genre épistolaire est aussi d’ordre qualitatif. Stimulée par les littéraires, elle vise à considérer la lettre dans sa spécificité stylistique, par exemple afin de mieux comprendre pourquoi les premiers auteurs chrétiens choisissent ce genre pour transmettre leur réflexion théologique alors que dans la tradition païenne, la missive, courte et stylistiquement simple, permet essentiellement de communiquer des sentiments.
Il ne faudrait pas pour autant faire de la lettre un parangon d’objectivité car le genre épistolaire obéit à des règles précises, en premier lieu le respect d’un formulaire. Par ailleurs, la lettre est souvent dictée, voire rédigée par une autre personne que l’auteur, ce qui peut constituer un filtre à sa pensée. Pourtant, elle utilise des niveaux langagiers fort divers, parfois à l’intérieur d’une même missive. Le style est alors bel et bien au service de la pensée, par exemple lorsque Grégoire use alternativement du tutoiement et du voussoiement dans ses missives au roi wisigoth Reccarède. De plus, le genre épistolaire connaît un tel succès qu'il contamine d’autres types de documents, en particulier le traité doctrinal et la lettre diplomatique, c'est-à-dire l’acte qui a forme de lettre, les rescrits impériaux, les lettres pontificales et les actes du haut Moyen Âge.

La fonction politique et sociale de la lettre

La lettre est aussi un instrument de pouvoir. La lettre politique et la lettre papale possèdent ainsi une valeur normative. Conférée dès leur émission, celle-ci peut s’enrichir au gré de leurs traditions manuscrites. Elle est donc étroitement associée à la constitution de collections canoniques ou épistolaires dont l'analyse per se prouve que la conservation des lettres constitue un enjeu non négligeable. En témoigne la collection de lettres et de poèmes de Fulbert de Chartes réalisée par l’évêque lui-même et ses disciples pour en faire un traité politique.
Selon une approche très nouvelle, la lettre joue aussi le rôle de marqueur social. Dans une tradition toute cicéronienne, ces amicorum colloquia abstentium permettent de cultiver l’amitié, vertu typiquement nobiliaire et de constituer de véritables réseaux où la plume sert les ambitions.