Contexte, axes et objectifs


Contexte

Ancien rameau des humanités, la numismatique constitue depuis vingt ans une branche très dynamique de l’histoire et de l’archéologie des époques ancienne et médiévale. La particularité de cette documentation tient à son caractère normé (droit et revers figurés et légendés), les monnaies ayant été produites de manière sérielle, massive et continue. Documentation de première main, abondante et en constant renouvellement, la monnaie présente l’intérêt unique de rendre compte tout à la fois de l’action des pouvoirs politiques, des stratégies économiques des élites et du quotidien des populations antiques. Elle permet ainsi de restituer les modes d’organisation des sociétés méditerranéennes dans toute leur épaisseur sociologique, ouvrant la voie à des travaux relevant aussi bien de l’histoire économique que de l’histoire politique, culturelle ou religieuse.

La documentation numismatique se prête bien à des approches numériques et transdisciplinaires, sources d’importants progrès dans la connaissance des sociétés du passé. Les catalogues en ligne permettent de publier massivement les données, de les cartographier et de les partager selon des règles fondées sur le partage et l’interopérabilité (linked open data en suivant les règles du consortium NOMISMA : http://nomisma.org/). Les progrès récents réalisés dans le domaine de l’archéométrie permettent d’étudier la composition physico-chimique de l’alliage des monnaies d’or ou d’argent mais aussi de bronze. L’émergence depuis les années 1970 d’une archéologie numismatique a permis par ailleurs de considérer l’objet monétaire comme un artéfact archéologique à part entière, au même titre que les autres (céramique, instrumentum, etc.), et pas seulement comme un simple élément de datation des stratigraphies. Enfin, l’approche iconographique des monnaies a connu des développements originaux depuis les années 1980. En croisant l’histoire institutionnelle et les données archéologiques, en introduisant une dimension quantitative dans les études iconographiques, il est permis de mieux apprécier la logique du langage monétaire et sa portée, entre d’une part les intentions du pouvoir émetteur et d’autre part la réception qui en est faite par les usagers.

Cette dynamique est cependant ralentie par la grande dispersion et la qualité très inégale des publications archéologiques, et d’autre part par le fait que, dans les études classiques, la monnaie demeure trop souvent cantonnée à une simple illustration. Les traditions et césures académiques contribuent à entretenir ces problèmes, avec des différences notables selon les pays et les périodes. Paradoxalement, malgré la publication récente de nombreuses données en ligne, une masse importante de la documentation demeure invisible des chercheurs.
 

Axes et objectifs

Le projet MONOM vise à étudier la monétarisation des sociétés autour du bassin méditerranéen occidental, de l’Antiquité au très haut moyen âge (Ve s.-VIIe s. ap. J.-C.). Il porte sur les processus et les différents acteurs de cette monétarisation.

En dehors des colonies et fondations grecques où la monnaie apparaît très tôt, la partie occidentale du bassin méditerranée se caractérise par une monétarisation plus tardive comparée à la situation du bassin égéen. Elle s’effectue dans le cadre d’aires culturelles variées, non grecques (mondes romain, italien, celte, étrusque, ibères, punique, nord-africain) et présentant des usages prémonétaires différenciés (argent au poids en péninsule Ibérique, matériaux cuivreux en Italie, etc.). Cet espace régional offre un poste d’observation intéressant pour étudier les contacts et rivalités entre les puissances qui y cohabitent – Rome et Carthage, peuples et royaumes alliés ou indépendants des deux puissances. Le secteur s’unifie très progressivement en matière politique et monétaire sous la République puis sous le Principat. Placer l’accent sur l’Occident romain permet d’étudier des phénomènes complexes de forte voire d’« hyper » monétarisation, associés à des phases de consolidation et d’unification, puis à partir du Ve s. ap. J.-C., à des étapes de fragmentation et d’éclatement liées à la multiplication des pouvoirs locaux durant les premiers temps des royaumes barbares puis des époques byzantine et arabe.

Le projet vise à étudier la diffusion des pratiques monétaires dans les économies locales et à mieux comprendre les dynamiques qui font de la monnaie l’un des plus fidèles reflets du discours et de la communication des autorités politiques qui se succèdent dans l’espace méditerranéen occidental. Il s’agit donc d’aborder la monnaie comme un objet archéologique témoin de phénomènes d’échanges et d’intégration (histoire monétaire, économique) et comme un support d’images et de textes à visée politique (histoire politique, institutionnelle), avec en arrière-plan la question des identités des pouvoirs émetteurs. Deux axes se dégagent donc dans ce projet envisagé dans la longue durée, du IVe s. av. J.-C. au VIIe s. ap. J.-C. : le premier, centré sur l’archéologie, porte sur la monnaie en tant que marqueur d’intégration (économique, politique) tandis que le second envisage la monnaie comme vecteur d’identités civiques, royales, ou impériales.

On ajoutera pour terminer que la numismatique des périodes antiques et médiévales, bien que cette source soit indispensable pour l’étude d’un site archéologique ainsi que pour bon nombre d’enquêtes historiques, n’est pas toujours reconnue comme une spécialité à part entière, reconnaissance impliquant en retour le recrutement de spécialistes. Telle est par exemple la situation qui domine à l’INRAP en France ou à l’INP en Tunisie. Conduire un projet ambitieux dans ce domaine sous la double tutelle d’institutions réputées comme la Casa de Velázquez et l’École française de Rome permettra à terme de faire évoluer la situation car les forces vives (doctorants, postdocs, jeunes chercheurs) ne manquent pas de même que l’intérêt des spécialistes et du public pour les sections et objets numismatiques exposés dans les musées.
 

Réalisations

Le programme MONOM vise avant tout à structurer l’existant au sein d’un champ disciplinaire en plein essor. Les principaux objectifs de ce projet de longue haleine sont l’INVENTAIRE (collecte, classement, numérisation), la FORMATION (ateliers thématiques, séminaires doctoraux annuels, restauration) et la DIFFUSION/VALORISATION scientifique (journées d’études, publications scientifiques, plateformes en ligne).

Les terrains d’études pressentis sont le Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie), la péninsule Ibérique, Rome et l’Italie du Sud. Une attention particulière est portée au Maghreb car c’est la région qui comporte le potentiel le plus important en matière de documentation nouvelle, d’enjeux de formation et de diffusion des connaissances.

Sur le plan des publications, en plus des traditionnels ateliers publiés sous la forme de dossiers dans des revues, une des principales réalisations du programme MONOM sera de lancer une revue en ligne sur OpenEdition.org consacrée à la numismatique d’Afrique du Nord (Antiquité, Moyen Âge, époque moderne).

Enfin, le programme MONOM permettra de créer un réseau d’experts pour une entraide destinée à faciliter les identifications et les publications de monnaies de fouilles et de musées, mais aussi à partager des expériences et des expertises afin de trouver des solutions logicielles communes de gestion et de diffusion des données, sur le modèle par exemple du consortium NUMID (http://numid-verbund.de/) qui met en réseau les collections numismatiques des musées universitaires allemands.