Le projet s’inscrit dans l’Axe de recherche n°1 du programme scientifique de l’EHEHI, «Cités, communautés, conflictualité ».

Sorores propose une étude approfondie des marqueurs identitaires des religieuses non cloîtrées, qu’elles vivent ou non en communauté (une question clé dans le travail sur la religiosité laïque), de la configuration et de la gestion des espaces de vie, de l’appartenance aux institutions et aux paysages urbains, ainsi que de l’interconnexion entre les habitants et ces espaces. La construction, la gestion et la mutation des communautés religieuses encouragent l’étude des mouvements socio-économiques, politiques et même théologiques qui redéfinissent constamment les liens d’appartenance, créant parfois des scénarios de conflit entre les communautés et les institutions ou entre les institutions civiles et religieuses.

Le projet Sorores veut promouvoir l’étude des religieuses non cloîtrées à partir de trois objectifs fondamentaux :

(1) la définition d’une nouvelle approche historiographique du sujet

Il est impératif de distinguer, à rebours de l’historiographie classique, le processus de régularisation des formes de vie religieuse féminines, qui apparaît nettement dans les documents canoniques à partir du XIIIe siècle, de la réalité de ces groupes de religieuses. Leur existence doit être inscrite dans une longue durée, de façon distincte de l’histoire des ordres religieux, auxquels elles se rattachent parfois comme tertiaires, mais pas toujours, et comme un phénomène non marginal, mais au contraire intrinsèquement lié aux sociétés médiévales et modernes, en particulier urbaines. Des rencontres thématiques, dont trois colloques internationaux à Madrid, Montréal et Rome, rassemblant les membres du projet, ainsi que des chercheurs confirmés et émergents, permettront d’affiner et de diffuser cette nouvelle approche.

(2) la mise en valeur de nouvelles sources pour l’histoire des religieuses non cloîtrées

Cette volonté de renouvellement historiographique doit donc passer par l’étude et la publication de nouveaux corpus de sources qui viendront contrebalancer les sources institutionnelles habituellement mises en valeur. Les workshops et ateliers dans des centres d’archives proposés par notre projet répondent à cette exigence. Les corpus identifiés sont essentiellement composés de sources de la pratique (documents notariés, documents d’administration), de sources judiciaires, mais aussi de sources internes aux communautés, telles les chroniques ou les lettres. Ces sources mettent en valeur la vie de ces femmes, le fonctionnement des communautés, leur rôle dans les sociétés qui les accueillent et leur lien avec la société urbaine en général, et certaines familles en particulier. Les publications de sources devront fournir de nouveaux outils aux chercheurs, mais aussi permettre l’intégration de ces sujets dans les programmes d’études universitaires.

(3) la création d’un groupe de recherche international à même de fédérer des recherches pour l’instant réalisées indépendamment les unes des autres et la diffusion des résultats

La publication de sources ibériques et la collaboration avec des chercheurs internationaux travaillant sur d’autres régions d’Europe contribuera aussi à la désarticulation du topos de «l’exceptionnalité hispanique » : les beatas, les emparedadas et les béguines ibériques s’inscrivent en effet dans un contexte européen. Les formes de vie religieuse féminines non cloîtrées s’étendaient à toute la chrétienté occidentale, ainsi qu’un observateur privilégié du phénomène, l’évêque Jacques de Vitry, le mettait en valeur dès la première moitié du XIIIe siècle : « Elles seront donc Beguina, comme on les nomme en Flandres et en Brabant, Papelarda, comme elles sont appelées en France, Humiliata, comme on dit en Lombardie, ou Bizoke, selon ce que l’on dit en Italie, ou Coquennunne, comme on le fait en Teutonie ». Il est aujourd’hui indispensable d’adopter un regard d’ensemble surce phénomène, ce qui n’a encore jamais été fait. La constitution de notre groupe, qui unit des chercheurs travaillant sur les terrains ibériques, italiens, français, flamands et allemands, et qui regroupe des représentants de différentes écoles historiographiques, en particulier français, espagnols, canadiens, italiens, américains et allemands, rendra possible une fédération des recherches au niveau international, et une mise en commun des résultats obtenus. L’organisation de colloques et de journées d’études sera accompagnée d’une série d’initiatives de formation qui permettront de relayer la recherche vers l’enseignement universitaire et envers un public plus large. En particulier, un programme de séminaires destiné aux étudiants sera mis en place dès l’année 2022, en collaboration avec les universités de Montréal (UQAM), Bari et Louvain (UCL).