Les comportements face à l’État : acceptations et refus (axe 3)

Axes

Responsable : François Godicheau
Professeur à l’université de Bordeaux III

 

Ordre et désordre impérial : une analyse des catégories

L'enquête recouvre une série d’interrogations essentielles sur la prise en compte par l’État impérial en (re)construction des phénomènes de résistance, de révolte et plus largement de « désordres » politiques et sociaux, lesquels à leur tour connaissent une évolution en fonction des demandes croissantes et des réponses répressives de l’État. On peut parler à ce sujet d’une construction spéculaire des catégories de l’ordre et du désordre, sans l’étude de laquelle notre réflexion sur l’ordre public courrait le danger d’une projection sur les sociétés du XIXe siècle de catégories élaborées plus récemment ou dans d’autres espaces, en particulier les sociétés anglo-saxonnes.

Ces catégories connurent une évolution notable, avec des glissements dans la signification de certains mots, l’emploi de synonymes, l’invention ou l’appropriation de nouveaux termes, et des circulations entre les diverses parties de l’empire. Ces évolutions et ces circulations font partie intégrante de notre objet et nous devrons répertorier ces diverses catégories et réfléchir soigneusement à la manière de les articuler à celles que nous retiendrons, à partir des éléments descriptifs des événements rapportés dans les sources, comme catégories-outils.

Nous partons de l’hypothèse selon laquelle les catégories employées par les institutions chargées du maintien de l’ordre ne sont pas seulement descriptives mais tendent à construire des figures délictueuses, ont une efficacité performative, sont des actes auxquels les acteurs de la protestation répondent eux mêmes en choisissant, reconnaissant ou rejetant tel ou tel qualificatif. On peut prendre l’exemple de la catégorie de « l’anarchiste », longtemps utilisée comme simple disqualification morale (à partir d’une réception du concept tel que forgé pendant la révolution française), mais assumé peu à peu à partir des années 1870, sans que sa signification fût jamais claire et reliée à un contenu doctrinaire avant la fin des années 1890 (Godicheau, 2008).

Entre « révolte primitive » et protestation moderne, au miroir de la construction de l’État

L’Espagne est réputée avoir vu se prolonger sur son territoire jusqu’au début du XXe siècle un registre traditionnel allant de la protestation sociale, celui des émeutes frumentaires, émeutes antifiscales, protestations violentes contre la conscription aux diverses formes de banditisme et de contrebande organisée. Ce registre traditionnel était aussi caractérisé par un défaut d’organisation sur le long ou le moyen terme et de programme politique, ce qui le distinguerait d’un registre moderne fait de mobilisations au long cours, organisées, tendant à soutenir des projets d’organisation sociale et politiques alternatifs à celui proposé par l’État et les classes dominantes.

Le phénomène du banditisme a été étudié pour l’Espagne essentiellement pour la période du premier XIXe siècle et ensuite, a seulement fait l’objet de quelques mises au point locales ou régionales. Il aurait tendu à disparaître dans la deuxième moitié du siècle en raison de l’action de la Garde civile. En ce qui concerne Cuba en revanche, le banditisme a été un objet d’analyse jusqu’à la fin de la chronologie et à la fin du siècle et les auteurs ont souligné aussi bien l’importance de l’imaginaire du banditisme rural dans la considération par les autorités de l’ensemble de la délinquance jusqu’à l’indépendance, que les liens entre le renouveau du banditisme après 1878 et les mouvements indépendantistes. Les autres phénomènes relevant du registre « traditionnel » de la protestation ont reçu assez peu d’attention, à l’exception d’une thèse sur les résistances à la conscription. En revanche, les études sur « les origines du mouvement ouvrier » sont légion et tendent quelquefois, par leur méthodologie orientée vers la mise au jour de « racines », à entériner ce découpage net entre deux registres.

Il s'agit donc d'examiner l’évolution des formes de protestation et des attitudes face à un État dont les demandes et le mode d’administration change au cours du siècle.


Membres de l´Axe:

François Godicheau
Jeanne Moisand
Manuel Risques
Pablo Riaño