Présentation générale

ÉCRITURES EXPOSEES. Discours, matérialité et usages (Espagne, France, Italie, Portugal, XIVe-XXIe siècle)

Durée : 2014-2016

Coordinateurs : Antonio Castillo Gómez (Universidad de Alcalá), Christine Rivalan Guégo (Université Rennes 2)

Dans les espaces partagés où les impératifs de circulation de la civilisation du mouvement dressent une signalétique toujours plus présente, sur les bâtiments, commerces, murs, supports divers que la société s'approprie comme espaces de création et de communication, les écritures surgissent. Cette omniprésence de l'écrit dans les espaces ouverts ou fermés, aujourd'hui banalisée, est cependant le fruit d'évolutions récentes d’une civilisation tournée vers la publicité et qui valorise la démocratisation de l'expression des opinions. L'étude de ces «écritures exposées», entendues comme « Toutes les manifestations graphiques dans lesquelles l’écriture assume une fonction consciente d’extériorisation » (« tutte le manifestazioni grafiche, insomma, in cui la scrittura assume una consapevole funzione di esibizione» Armando Petrucci, La scrittura. Idelogia e rappresentazione, 1986), est cependant loin d'avoir été menée à son terme. Les usages de l'écrit sont à présent mieux connus, grâce aux travaux notamment d’Armando Petrucci, dans une perspective diachronique qui va de l’Antiquité à nos jours; ceux de Roger Chartier, Antonio Castillo et Anne Béroujon pour l’époque moderne ; ou ceux de Philippe Hamon, David Henkin, Béatrice Fraenkel et Philippe Artières pour la période contemporaine.


Cependant, au-delà de ces auteurs, nombreux sont les historiens, paléographes, anthropologues et linguistes qui, ces dernières années, se sont intéressés aux écritures exposées. La liste est déjà longue des recherches en cours sur les différentes formes que revêtent ces écritures : les écritures monumentales urbaines ou funéraires, étudiées avec l’intention d’approfondir la signification des formes graphiques, de leurs emplacements et de leurs principales fonctions (propagande, représentation et mémoire) par C. Ciociola, M. H. Patten, W. Kidd y B. Murdoch, F. M. Gimeno Blay, V. Debiais, F. Vuilleumier Laurens y P. Laurens, L. Melosi; la production et la diffusion de pasquins et libelles, particulièrement à l’Époque Moderne, en analysant leur incidence dans la création de sphères d’opinion publique (J. K. Sawyer, H. Duccini, A. Halasz, J. Raymond, J. Peacey, O. Niccoli, S. Landi, G. Torres Puga, H. Hermant, J. Ruiz Astiz, N. Silva Prada ou M. Rospocher); les affiches, pamphlets et pancartes à caractère revendicatif étudiés comme actes d’écriture appelant à l’action (B. Fraenkel et P. Artières); les enseignes lumineuses tellement caractéristiques de notre société de consommation (W. Liu et P. Artières); les graffitis (L. Canali et G. Cavallo, F. M. Gimeno Blay et Mª. Luz Mandingorra Llavata, J. Fleming, J. Candau et P. Hameau, J. A. García Serrano, F. Figueroa-Saavedra); l’épigraphie et autres écritures exposées d’origine populaire (Q. Antonelli); les expressions écrites de deuil collectif provoquées par des événements tragiques de grand impact médiatique comme les attentats du 11-S à New-York ou du 11-M à Madrid (B. Fraenkel, P. J. Margry et C. Sánchez-Carretero) ; enfin les témoignages publics de respect et d’admiration à l’égard de personnes qui ont eu une quelconque importance littéraire, politique ou artistique, comme c’est le cas des lettres, poèmes, dédicaces et écrits divers déposés sur les tombes, ou envoyés par courrier aux « idoles » (G. M. Vidor, V. Sierra, A. Iuso, Q. Antonelli, A. Bartoli ou D. Fabre).


Partant de la définition d’écriture exposée proposée par A. Petrucci («qualsiasi tipo di scrittura concepito per essere usato in spazi aperti, o anche in spazi chiusi, per permettere una lettura plurima (di gruppo, di massa) ed a distanza di un testo scritto su di una superficie esposta»), le projet vise à prolonger ces travaux fondateurs et représentatifs d’une nouvelle ligne de recherche en explorant d'autres modalités de ces «écritures exposées» dont la définition complexe ouvre le champ de vastes investigations. Déjà les travaux du séminaire de Béatrice Fraenkel, directrice d'études à l'EHESS (« Les écritures exposées : évènements et scènes d'écriture ») constituent une avancée dans l’exploration des écritures urbaines prises dans leur ensemble (écritures politiques, commémoratives, artistiques, commerciales et autres). Les écritures exposées, comme l’ont déjà montré David Henkin dans City Reading: Written Words and Public Spaces in Antebellum New York (1998) et P. Fritzche dans Reading Berlin 1900 (1996), deviennent ainsi des écrits qui délivrent un message, sur des supports divers, créant parfois même le support nécessaire (panneau d’affichage, colonne, kiosque). Éphémères ou prévues pour durer (selon les supports), ces écritures ont comme caractéristique propre de s’offrir aux regards, de susciter des réactions (orales ou écrites), car elles s’inscrivent dans l’écologie d’un « espace public urbain », définit comme espace de circulation susceptible d’être fréquenté par un public varié. Il peut aussi devenir espace de confrontation dans la mesure où les écritures exposées peuvent être, tour à tour, instruments de propagande, de représentation et de légitimation des institutions détenant le pouvoir ainsi qu’expression de la controverse, la dissidence et la rébellion sociale.


En résumé, il ne s’agira pas tant de revenir sur des aspects déjà étudiés que d’envisager de nouveaux objets et fondamentalement de proposer un regard nouveau s’efforçant de réfléchir de façon globale aux usages et significations sociales des différentes modalité des écritures exposées dans le temps long considéré, en établissant, bien évidemment, les pratiques spécifiques de chacune des périodes retenues mais aussi celles qui peuvent faire l’objet d’une analyse dans une perspective diachronique.


D’une façon ou d’une autre, la société dans son ensemble est interpellée par tous les formes d’écritures exposées, épigraphes, enseignes, arrêtés, édits, affiches, libelles, graffitis, fascicules, journaux ou même livres qui trouvent leur espace de diffusion, de commercialisation et de réception dans l’espace public, la rue ou n’importe quel autre lieu éventuellement ouvert à tous. À ce titre, la rue et la place seront les espaces privilégiés, mais sans exclusive. Églises, cimetières, châteaux et palais, tavernes et cafés, boutiques et ateliers, écoles, tribunaux et théâtres, seront aussi convoqués dans cette étude.