Contexte et objectifs du programme

L’écriture revêt des formes et des fonctions très différentes au long du Moyen Âge. Cette diversité s’exprime dans la nature des textes mais aussi dans les supports et dans les graphies, dans les décors et dans les moyens de diffusion. Les singularités plus ou moins marquées des documents ainsi produits commandent à leur analyse respective au sein d’un grand nombre de disciplines dites « auxiliaires » de l’histoire. Cette séparation académique, issue d’une tradition érudite ancienne, doit être aujourd’hui discutée et sans doute relativisée, dans la mesure où les frontières parfois infranchissables qu’elle a dressées se révèlent souvent perméables et toujours relatives à l’épreuve de la réalité documentaire. Cependant, si cette séparation doit certes être pensée en d’autres termes, ce n’est pas tant pour élever certains principes analytiques, supposément plus opératoires, en œuvre dans une discipline donnée au-dessus des autres (il faudrait pour cela que ces principes diffèrent réellement d’une discipline à l’autre, ce qui est discutable), que pour faire apparaître la nature unique de la culture graphique du Moyen Âge qui s’exprime dans tous les usages de l’écriture, au-delà des variations formelles, fonctionnelles ou topographiques des productions écrites. Dans une appréhension large de la Literacy médiévale, ces différences sont des adaptations nécessaires aux exigences de la communication écrite, toujours mise en œuvre dans des circonstances particulières, changeantes et propres à chaque document produit.


Une telle globalité de la culture écrite médiévale a été mise en lumière il y a déjà plusieurs décennies par Jean Mallon ou encore par Louis Génicot ; ces deux auteurs ont notamment exprimé leur volonté de voir s’instaurer entre les différentes disciplines de l’érudition un dialogue capable de rendre compte de cette particularité. Pour programmatiques qu’elles soient, leurs réflexions sont, dans la plupart des cas, restées sans suite, d’une part parce que les sciences dites « auxiliaires » ont rarement accueilli un nombre suffisant de chercheurs pour développer des programmes d’étude dans cette direction, et d’autre part parce que leurs activités ont jusqu’alors principalement concerné l’établissement de grandes collections documentaires. Or, la préparation des corpus de sources offre l’occasion au quotidien de mesurer les points de rencontre multiples non seulement entre la diplomatique et la sigillographie, la paléographie et l’épigraphie, la sigillographie, l’héraldique et la numismatique, mais entre toutes les disciplines de l’érudition dans la mesure où les documents étudiés possèdent, dans la présence de l’écrit, un dénominateur commun fondamental. L'avancée considérable des corpus de sources permet aujourd'hui d’envisager des recherches ambitieuses dans ce sens en dépassant la mise en œuvre des collections. Envisager une science unique de l’écriture représente donc une mise en cohérence de la structure académique des disciplines de l’érudition avec la réalité documentaire du Moyen Âge.


Dans le cadre d'un rapprochement des disciplines – rapprochement naturel parce qu’à l’épreuve de la réalité du Moyen Âge –, la paléographie et l’épigraphie médiévales sont à même de démontrer la synergie propre aux disciplines de l’érudition, synergie qui s’exprime notamment dans la création récente du groupement d’intérêt scientifique sur les sources de la Méditerranée occidentale. La proximité entre paléographie et épigraphie se manifeste dans les méthodes d’analyse de l’écriture, dans la description de ses formes et la classification des types de textes, mais davantage encore dans le recoupement des thématiques abordées dans le manuscrit comme dans les inscriptions. Des travaux anciens ont montré les connexions inévitables et nécessaires entre la paléographie et l’épigraphie et des études ponctuelles ou des rencontres scientifiques internationales ont récemment exploré quelques-uns de ces points de convergence, en se concentrant principalement sur les données techniques de l’écriture et sur leurs conséquences sur la forme des lettres.


Le projet EPIMED entend s’inscrire d’une part dans une convergence des disciplines auxiliaires de la médiévistique (plus d’ailleurs que dans une interdisciplinarité qui suppose un cloisonnement des démarches incompatible en réalité avec le traitement de la documentation écrite médiévale) et d’autre part dans les dynamiques de recherche communes à l’épigraphie et à la paléographie. Les interrogations ont toutefois l’ambition de ne pas prendre en compte les seuls aspects techniques et formels, mais de s’intéresser surtout au statut et au rôle du texte produit, à sa dynamique d’écriture (entendue à la fois comme production intellectuelle d’un contenu et comme réalisation matérielle d’un objet inscrit) pour mettre en lumière les convergences intellectuelles entre pratique manuscrite et pratique épigraphique. Les difficultés inhérentes à la comparaison des graphies tracées sur des supports différents avec des instruments différents et pour répondre à des contingences de communication différentes ne peuvent en effet être dépassées que si l’on envisage cet acte de communication dans sa globalité, c’est-à-dire en étudiant à la fois les acteurs de cette production et les circonstances historiques conduisant à des choix de support, de graphie, de contenu, de mise en scène de l’écriture.


Les questions abordées par le projet s’inscrivent dans le cadre des domaines de recherche définis par le contrat quinquennal de la Casa de Velázquez 2012-2016, en particulier dans l’axe 2 « Écrits, archives, récits ». Dans la continuité d’un courant de l’histoire culturelle qui a exploré l’histoire de l’écriture, celle de ses supports et de la circulation des écrits, cet axe cherche à approfondir les relations complexes qu’entretiennent les écrits, les archives et les récits aussi bien fictionnels que factuels, en accordant une place particulière à l’étude des supports des écrits. La question des archives interfère naturellement, en ce que la matérialité des écrits pose le problème de leur reconnaissance, de leur patrimonialisation et de leur conservation, ainsi que des conflits qui en découlent. Cette perspective invite à dépasser les frontières génériques entre les modes d’écriture (en particulier ceux que pratiquent les sciences sociales) et à reposer la dialectique entre récits fictifs et non fictifs, en se concentrant sur la tension entre littéralité et littérarité.


OBJECTIFS

Les objectifs du projet EPIMED sont variés dans leurs thématiques, les échéances et leur périmètre :
-    Faire avancer la réflexion scientifique et donner les moyens de la formation partagée (à partir des domaines d’excellence de chaque institution).
-    Stimuler la recherche propre sur place en utilisant de façon pertinente les missions, ressources et compétences de la Casa de Velázquez en termes d’initiative, de soutien et de valorisation de la recherche.
-    Assurer le succès du projet scientifique, sa diffusion auprès de la communauté par la réalisation d’un ouvrage et auprès du grand public par le montage d’une exposition réelle et/ou virtuelle.

 

  • OBJECTIFS SCIENTIFIQUES


L’écrit est présent dans la société médiévale sur des supports très variés mais souvent méconnus : à côté des livres et documents manuscrits sur papier ou parchemin, on trouve ainsi des textes inscrits sur les monnaies, les sceaux, les pierres tombales, les peintures murales, les objets d’orfèvrerie, les tapisseries ou encore les vitraux. Or, la constitution historique de disciplines différentes pour les étudier (paléographie, diplomatique, codicologie, numismatique, sigillographie, épigraphie notamment), en créant des limites devenues souvent des barrières infranchissables, a rendu impossible l’étude de l’écriture comme phénomène culturel global et majeur dans la société médiévale. Le projet EPIMED se propose de briser les barrières disciplinaires en décloisonnant et faisant dialoguer des spécialités historiquement indépendantes autour d’un objet commun : l’écriture médiévale. Dépassant la typologie traditionnelle et les limites institutionnelles, il entend développer une réflexion théorique et méthodologique permettant une approche conjointe de tous les documents écrits.

  • OBJECTIFS PEDAGOGIQUES


L’épigraphie médiévale est très peu présente dans les programmes d’enseignement universitaire, en France comme en Espagne. Seuls quelques cours d’initiation sont proposés au sein d’un ensemble plus vaste d’enseignements permettant la découverte, plus que l’acquisition de connaissances, des sciences auxiliaires. Dans tous les cas, la dimension technique domine : historiographie, description des inscriptions, notions de paléographie, outils de datation, normes de publication, etc. Il est de fait très rare que l’épigraphie intègre le champ plus vaste des pratiques historiques et que le lien soit fait avec la recherche en histoire médiévale.
En favorisant l’accès des étudiants aux activités de recherche du projet EPIMED et en incitant à leur participation active par la présentation ponctuelle de leur travaux de recherche, la collaboration entre le CESCM, l’IRCUM et la Casa de Velázquez a pour objectif 1) d’associer formation technique et recherche fondamentale dans le cadre des disciplines de l’érudition, 2) de susciter des travaux doctoraux originaux en lien avec les thématiques du projet, 3) de créer une communauté d’enseignants sensibilisés à l’apport des sciences auxiliaires à la recherche en histoire médiévale, 4) d’élaborer de façon prospective de nouveaux outils pédagogiques associant connaissances techniques et réflexions théoriques autour de la culture écrite médiévale.

  • OBJECTIFS INSTITUTIONNELS


La collaboration entre le CESCM, l’IRCVM et la Casa de Velázquez est destinée à renforcer des partenariats bilatéraux anciens et très actifs par la création d’un programme de recherche ambitieux faisant apparaître les compétences scientifiques de chaque institution. L’articulation à trois bandes Barcelone-Madrid-Poitiers du projet EPIMED a également pour objectif de susciter de nouveaux partenariats en France, en Espagne, et plus généralement en Europe en créant une structure de recherche attractive et innovante. Elle pourra être l’occasion de donner un ancrage institutionnel au réseau européen des épigraphistes médiévistes et modernistes, pour le moment au stade embryonnaire malgré plusieurs tentatives de structuration.
Le choix de l’axe « Écrits, archives, récits » de la Casa de Velázquez, plus large que les seules préoccupations épigraphiques, permettra également d’envisager un réseau pluridisciplinaire autour des thématiques de l’écriture au Moyen Âge et à l’époque moderne, avec des partenaires privilégiés tels que l’Université de Sienne-Arezzo en Italie, le centre d’études médiévales d’Utrecht aux Pays-Bas, l’Université d’Heidelberg en Allemagne, l’Université d’Oslo en Norvège, avec lesquels des relations ponctuelles existent déjà.