Présentation

Au sein du programme EURESCL, le WP5 « Traites et esclavages en Europe continentale » est porté par l’École des hautes études hispaniques et ibériques (Casa de Velázquez, Madrid). Fabienne Guillén (Université de Pau et des Pays de l’Adour) en assume la direction scientifique.

Les récits dominants sur les traites et les formes d’esclavage en Europe continentale et méridionale demeurent sous-tendus par un modèle chronologique linéaire et finaliste déployé entre des formes absolues ― antiques et coloniales ― de l’asservissement. Entre ces deux absolus, traites et esclavages médiévaux et pré-coloniaux semblent manquer de caractérisation. Le rôle dominant tenu par le captif offre à l’historien la toile de fond et les supports épistémologiques des luttes interconfessionnelles sur terre et sur mer. Celui, plus humble, de l’esclave ― modelé par comparaison et contraste avec la domesticité libre d’une part et les esclaves de plantation, de l’autre ― sert à l’élaboration d’un portrait individualisé, familier et bienveillant de l’esclavage médiéval. Et la sculpture de ces pièces majeures de l’échiquier de l’aliénation, nous ramène invariablement à la forgerie du mythe « méditerranéiste ». Interroger ces récits à partir de leurs zones d’ombre, à partir de leurs ambigüités les plus pérennes, révèle, et partant nous assigne trois chantiers prioritaires.

• L’éclairage récent apporté sur l’économie et la diplomatie de la rançon a permis de consistantes avancées dans la connaissance de la captivité en Méditerranée. L’économie des traites de la mer intérieure, débouché principal pourtant des traites terrestres européennes, asiatiques et africaines n’a pas reçu la même attention, laissant dans l’ombre une histoire qui pourrait révéler une intime relation avec l’ensemble des flux économiques, commerciaux et financiers d’une première globalisation.

• L'interchangeabilité des dénominations ― serf, servosiervo, captif, cautivocattivo, esclave, esclavoschiavo ― qui semble affecter toutes les langues vernaculaires pour nommer les statuts serviles et semble dériver du formulaire juridique latin ― servus, sclavus et captivus ― traduit-elle une véritable identité des statuts ou un traitement sémantique négligent ? Des réponses fournies à cette question, évitant méprises lexicales et mécomptes notionnels, émergerait peut-être l’architecture d’une casuistique complexe et consensuelle de l’aliénation dans les sociétés médiévales et modernes. 

• Enfin, ce modèle urbain et majoritairement domestique de l’aliénation est-il si bien connu ? Le monde urbain, allusivement convoqué dans les études sur l’esclavage ne demeure-t-il pas un paysage nébuleux ? L’éthique qui lui est attribuée ― confondant si souvent familiarité et affection ― n’offusque-t-elle pas le regard sur des processus sociaux engendrés par la servitude et nommés par suite d’audacieux transferts opérés depuis le champ de l’anthropologie ou de la sociologie ?