Projet OLEASTRO
OLEiculture et production d’AmphoreS en Turdétanie ROmaine
 

Le caractère novateur et interdisciplinaire

Les travaux et études pluridisciplinaires mis en place constituent un programme de recherche à résolution courte dont l’efficience a été testé et validé lors du programme PAEBR : nous proposons un postulat initial, c’est à dire une hypothèse de travail — nous sommes en présence de centres de production dont une partie peut être qualifiée d’industrielle avec un fort impact sur l’environnement — et nous la testons en croisant l’ensemble de la documentation réunie puis modélisons les résultats. Les méthodologies mises en place sont celles qui ont été mises en œuvre dans le midi de la France depuis une vingtaine d’années : archéologie, archéométrie (détection EM ; datation AMG), bioarchéologie. D’autre part, les spécificités du dossier des sites producteurs de Dr. 20 — présence en abondance de timbres ; datations très fines de ceux mis au jour au Monte-Testaccio à Rome entre, 140 et 255 ap. J.-C. en raison de la présence de marques peintes avec mention de l’année consulaire — permettent un taux de résolution beaucoup plus important et un séquençage fin des résultats qui seront acquis sur les deux opérations de fouille qui seront mises en place.

Les données paléoenvironnementales, anthracologie et carpologie constituent une partie importante du programme et apparaissent comme très innovantes dans la mesure où dans cette partie de l’Espagne, les prélèvements systématiques et datés sur des sites d’époque romaine sont très rares, tout comme d’ailleurs les analyses qui en découlent. De fait, les résultats attendus sont évidemment d’un grand intérêt scientifique dans la mesure où les questions sont centrales pour la problématique qui nous occupe : utilisation des sous-produits de l’olive et en particulier des grignons ; gestion de la ressource en bois, place du pistachier lentisque dans l’économie locale ; caractérisation des variétés cultivées d’oliviers et possibilité d’un séquençage ADN sur des restes d’olives conservés en milieu humide. Les chronologies très fines fournies par les timbres sur Dr. 20 et la puissance des stratigraphies relevées sur les rares ateliers ayant fait l’objet de fouille, constituent par ailleurs des atouts très importants pour procéder à des analyses dynamiques et comparatives entre les trois zones étudiées.

Le projet OLEASTRO fait une place centrale aux jeunes chercheurs puisqu’il intègre d’ores et déjà 3 doctorants financés + au dernier trimestre 2016, un quatrième doctorant. La participation active de C. Dubler, Q. Desbonnets et de I. Gonzalez Tobar au programme PAEBR est un gage de continuité méthodologique tout comme la participation certes réduite mais tout aussi active d’O. Bourgeon qui a coordonnée les prospections dans la vallée du Genil de 2013 à 2015. On doit également noter qu’un certain nombre d’étudiants de Licence et de Masters d’Archéologie de l’Université de Montpellier sont également impliqués dans le projet. Ces jeunes chercheurs sont encadrés et formés par des chercheurs dits« confirmés » qui définissent les objectifs scientifiques, apportent leurs expertises, facilitent, grâce à leur expérience acquise sur des fouilles et des programmes de prospection antérieurs, l’organisation et le bon déroulement des opérations de terrain et en assument les responsabilités administratives et juridiques, notamment auprès des institutions espagnoles.

La nature des travaux et les méthodologies développées

Les prospections pédestres 

Les prospections pédestres et la réalisation d’une carte archéologique détaillée du cours moyen du Guadalquivir : Ce travail bénéficie des apports considérables de la carte archéologique dressée par M. Ponsich. Le travail qui sera réalisé à l’occasion de deux stages annuels de prospection d’une durée de 1 mois chacun s’inscrit dans la droite ligne des recherches menées en Languedoc depuis plus de 20 ans — et appliquées dans la vallée du Genil entre 2013 et 2015 — et repose donc sur une fondation méthodologique très solide ayant déjà fait ses preuves. Les informations recueillies sont intégrées à un SIG et font l’objet d’une analyse systémique. On disposera ainsi d’une analyse fine de l’évolution du fonctionnement des centres de production d’amphores, dans le secteur considéré entre le Ier s. av. et le Ve s. ap. J.-C. ainsi que d’un certain nombre de descripteurs portant sur les activités artisanales et économiques (production de terres cuites, oléiculture, viniculture, etc…). L’utilisation d’un drone de dernière génération est envisagée avec pour objectif la mise en place d’un logiciel d’analyse de traitement d’images prises à basse altitude (H. Bohbot, CNRS, UMR5140-Lattes), destiné à mesurer la densité de matériel en terre cuite à la surface du sol. La mise au point de ce logiciel pourrait permettre de révolutionner la pratique des prospections, longue et coûteuse en moyens humains et accélèrera également le travail de reconnaissance et de géolocalisation des sites.

Les mémoires de Master 1 et 2 respectivement consacrés par Q. Desbonnets et I. Tobar Gonzalez aux ateliers qualifiés de« portus » du conventus d’Hispalis/Séville et à la zone de production de La Estrella-Picachos dans le conventus de Cordoba ont permis de mesurer les potentialités de ces zones.

Enfin, nous prévoyons également, sur les ateliers occupés par des cultures annuelles, de procéder à une série de prospections magnétiques destinées à mesurer le nombre de fours présents et la répartition des différents quartiers. Elles seront confiées à A. Camus et à V. Mathé de l’ULR Valor/Université de La Rochelle avec qui nous avons déjà travaillé en France sur les ateliers de potiers d’Aspiran, avec d’excellents résultats.

Les prospections magnétiques (V. Mathé et A. Camus)

Le champ magnétique terrestre est assimilable, par approximation, à un champ magnétique dipolaire, analogue à celui que produirait un barreau aimanté situé au centre de notre planète, et dont l’axe présenterait un angle de l’ordre de 11° avec l’axe de rotation de la Terre. En Espagne, compte tenu de l’angle d’observation, cet angle apparent, qui constitue la déclinaison magnétique, n’est que de quelques degrés. Ainsi, en l’absence de tout matériau, et à l’échelle spatiale d’observation d’une prospection qui par essence est limitée, le champ magnétique pourrait être considéré comme invariant dans le volume d’observation considéré. Toutefois, du fait de la présence de matériaux, le champ magnétique local est déformé. L’ampleur de cette déformation dépend des propriétés magnétiques des matériaux présents. Du point de vue des lois de la physique, l’interaction entre le champ magnétique et un matériau est la source d’une aimantation au sein de celui-ci, qui disparaitrait en l’absence de champ magnétique externe. Cette aimantation est dite induite. Elle est proportionnelle au champ magnétique qui la produit. Une des grandeurs communément utilisée permettant d’aborder cette aimantation induite est la susceptibilité magnétique.

Certains matériaux possèdent en plus de cette aimantation induite, une aimantation spontanée permanente (comme les aimants artificiels). Ces matériaux sont dits magnétiques (ferromagnétiques, par opposition aux matériaux dits non magnétiques : paramagnétiques et diamagnétiques selon leur valeur de susceptibilité magnétique respectivement positive et négative de plus faible intensité). L’aimantation spontanée qu’ils portent est dite rémanente. Cette aimantation dépend de l’histoire du matériau. Ainsi, la répartition spatiale des matériaux, leurs différences de nature et l’orientation de leur aimantation permanente, en ce qui concerne les matériaux ferromagnétiques au sens large, sont les paramètres qui gouvernent les déformations du champ magnétique local. Les matériaux naturels ayant chauffé sont particulièrement concernés par ces propriétés. En effet, le feu agit de deux façons sur les matériaux, accentuant la déformation locale du champ magnétique à proximité de matériaux chauffés :

La cuisson des matériaux naturels est source de transformations minéralogiques. Ainsi, des minéraux magnétiques sont généralement néoformés. Cette transformation est généralement associée à une rubéfaction qui se caractérise par une couleur plus rouge des matériaux.

L’élévation de température favorise l’alignement des aimantations spontanées des minéraux magnétiques présents initialement ou néoformés.

Ainsi, le feu génère, au sein d’un matériau, un accroissement de l’intensité de l’aimantation induite et de l’aimantation rémanente, toutes deux alignées avec le champ magnétique local pour des foyers récents (pour des foyers plus anciens, l’alignement de l’aimantation rémanente avec le champ magnétique local est imparfait, la position de l’axe dipolaire du champ magnétique terrestre se déplaçant au cours des siècles). Compte tenu de l’inclinaison du champ magnétique à nos latitudes, de l’ordre de 60°, la déformation du champ magnétique local générée par une source magnétique est : dissymétrique selon un profil Nord-Sud ; symétrique selon un profil Est-Ouest. De ce fait, l’anomalie du champ magnétique produite par une source dipolaire est elle-même dipolaire, avec principalement un pôle positif au Sud et un pôle de moindre intensité négatif au Nord. La localisation de la source à la verticale de l’anomalie, à une latitude comme celle de la France, est légèrement déportée vers le pôle négatif de l’anomalie par rapport au pôle positif. Au pôle, le champ magnétique étant vertical, le pic d’anomalie positif est à la verticale de la source. Un artifice mathématique permet de transformer une carte d’anomalies réalisée à une latitude donnée, en son analogue réalisé dans un contexte avec un champ magnétique local vertical. Cette approche est dénommée la réduction au pôle. Elle s’appuie sur l’identification des anomalies dipolaires présentes sur la carte. Ce n’est donc qu’une représentation théorique, à considérer comme telle.

L’intensité d’une anomalie dépend de l’intensité de la source et décroit approximativement en fonction du cube de l’inverse de la distance (1/rn, avec r la distance entre la source et la mesure, 2 < n < 4 selon la nature de la source). Ainsi, une anomalie de même intensité peut être créée par un objet de même nature magnétique mais de taille variable et à une profondeur variable. Par contre, la période spatiale sera d’autant plus courte que la source sera proche.

L’instrument de mesure utilisé est un gradiomètre Foerster Ferex muni de 4 capteurs espacés de 0.5 m, ici mis en oeuvre en configuration « chariot »". Chaque capteur du Ferex fournit directement une valeur de gradient. Cet appareil n’est sensible qu’au gradient de la composante verticale du champ magnétique. Le Ferex mesure un point tous les 0.1 m dans le sens d’avancement. Sa précision est de l’ordre de 0.3 nT (référence fabricant). Pour réaliser une carte d’anomalie magnétique, un opérateur déplace un magnétomètre qui effectue des mesures en pseudo-continuité le long de chaque profil, parcouru à la cadence de marche la plus régulière possible et de façon la plus rectiligne possible. La mesure est abusivement qualifiée de continue puisqu’il s’agit en fait d’un échantillonnage à pas temporel court. Néanmoins, l’opérateur n’ayant pas ou peu à intervenir entre le début et la fin du profil, l’acquisition de nombreux points de mesures est rapide. Un tel dispositif permet en effet de couvrir une superficie comprise entre 0.5 ha/j et 2 ha/j, à raison d’un profil tous les 0.5 m. Les groupes de quatre profils parallèles et équidistants sont parcourus alternativement dans un sens puis dans l’autre.

Les dispositifs de mesure utilisés en prospection archéologique privilégient les structures relativement superficielles, se trouvant en général enfouies à moins d’un mètre, mais leur profondeur d’investigation est d’autant plus grande que les structures sont imposantes ou que les contrastes de capacité d’aimantation de l’objet par rapport à l’encaissant sont forts. Les données sont acquises dans un système de coordonnées locales. Le carroyage est ensuite relevé par GPS pour géoréférencer les mesures (coordonnées mesurées en UTM31 WGS84 puis converties en Lambert III NTF) et ainsi permettre de les replacer dans un système géographique commun à toutes les informations spatiales.

Les mesures magnétiques sont traitées à l’aide d’un programme informatique développé par l’ULR Valor. Il est destiné à améliorer la lisibilité des images magnétiques issues des campagnes de mesures sur le terrain. Il a été conçu pour effectuer les corrections essentielles à apporter à une image magnétique. Deux phases de traitement sont enchainées sur les profils. Sont ainsi corrigés : 

  • Les artefacts de mesures qui se traduisent par des anomalies magnétiques ponctuelles ;
  • Les linéations parallèles, dues à l’alternance du sens de parcours des profils.

Il est à noter que certains phénomènes n’ont pas été corrigés. En effet, sous nos latitudes, les anomalies magnétiques ont une forme dipolaire asymétrique, ce qui a l’avantage de créer un effet de relief facilitant la lecture de l’image, mais induit un léger décalage entre l’anomalie observée et sa source. Cependant, ce décalage est jugé négligeable puisqu’il n’est que de quelques dizaines de centimètres. Les résultats sont représentés par des images en isovaleurs colorées à l’aide du logiciel Surfer 11 (Golden Software). La méthode d’interpolation, dite Minimum Curvature, est choisie pour respecter autant que faire se peut la forme courbe des anomalies de potentiel. La maille de la grille générée est choisie de telle sorte qu’elle soit le plus proche possible de la maille de mesure.

En termes de caractérisation, la mesure porte ici sur la signature magnétique des structures superficielles, enfouies à moins de 1 m de profondeur. Elles apparaissent par contraste avec le terrain encaissant, celui-ci étant soit plus magnétique dans le cas d’un empierrement, soit moins magnétique dans le cas d’un fossé. Ainsi, selon l’échelle de couleur employée ici, les structures bâties apparaissent en gris clair tandis que les structures fossoyées sont plutôt en gris foncé. Les dipôles, fortes anomalies positives et 11 négatives juxtaposées (tâches rouges et bleues), marquent la présence de structures très magnétiques telles que les objets métalliques et les structures de combustion (fours, foyers). Précisons que la largeur réelle des structures est légèrement inférieure à celle observée sur l’image pour les sources peu magnétiques, et très inférieure à l’anomalie observée pour les sources très magnétiques.

A titre d’information, la prospection d’une zone de 5 ha et le traitement préliminaire des résultats peuvent être réalisés en 5 jours si les conditions d’accès et d’intervention sont bonnes. Compte tenu des moyennes de surface des ateliers enregistrées dans la vallée du Genil, autour d’1/2 ha en moyenne, une mission d’une semaine permettrait de traiter 6 à 8 ateliers, ce qui est considérable.

La fouille de deux ateliers de production d’amphores (S. Mauné et E. Garcia Vargas dir.)

Les résultats acquis à Las Delicias sont importants et permettent de disposer d’informations à la fois abondantes et variées qui autorisent une approche pluridisciplinaire de l’histoire d’un centre de production. Les questions et réponses suscitées par ces données, les hypothèses nouvelles qui en découlent et la possibilité de modéliser ces résultats vont permettre de réels progrès dans l’étude des centres de production d’amphores à huile Dr. 20.

Les prospections qui seront menées en février 2016 ont pour objectif d’identifier parmi la quinzaine d’ateliers qui sera traitée dans les deux conventus, deux ateliers réunissant un certain nombre de condition administratives, topographiques et scientifiques nécessaires à leur exploration approfondie sous la forme de fouilles archéologiques programmées. Il s’agit en réalité de choisir les sites qui seraient le mieux à même de répondre à nos interrogations. A l’automne 2016, une mission de prospection magnétique aura pour objectif de traiter les 6 à 8 ateliers présentant les qualités requises. C’est à partir de ces résultats que l’on procèdera au choix définitif des 2 ateliers qui seront finalement fouillés.

Les objectifs assignés à ces deux opérations nouvelles seront de plusieurs ordres : on tentera d’appréhender les espaces de stockage qui devraient se trouver au sein des ateliers. Là en effet réside la réponse à une question tout à fait essentielle posée par la mise en perspective des données issues de la commercialisation. Une contradiction de taille apparaît en effet lorsque l’on aborde le problème du stockage de l’huile : le schéma admis par tous est que l’huile, amenée par outre sur les ateliers, est transvasée dans les amphores et que celles-ci sont ensuite acheminées vers Hispalis d’où elles partent ensuite vers les ports de Méditerranée. Le paradoxe est que la production de l’huile se fait entre décembre et février, selon les variétés actuellement cultivées, au moment même où la navigation hauturière est très difficile voire quasi impossible ce qui n’a jamais été relevée. Deux hypothèses sont, selon nous, envisageables : soit l’on considère que l’huile est effectivement conditionnée pendant l’hiver, dans les amphores ce qui induit alors l’existence de gigantesques zones de production et de stockage publiques ou privées — les« portus » de la zone de Lora del Rio/Arva ?) ce qui pourrait alors en partie expliquer la surface de 20 ha du complexe de La Catria — soit l’huile était stockées dans des celliers, au sein des huileries, en attendant d’être transvasée, à partir du mois de mars, dans les amphores, acheminées ensuite jusqu’à Hispalis. Cette seconde hypothèse, qui n’exclue pas totalement la première car il faut sans doute garder en tête la possibilité de solutions multiples et différentes dans le long temps qu’a duré cette industrie, n’a jamais été proposée tant il est vrai que les restes de dolia ont été assez rarement signalés par M. Ponsich et alii.

L’autre objectif de ces fouilles sera de mettre au jour des fours et des zones de rebuts associées pour progresser sur la problématique des rendements de ces unités de cuisson et mieux appréhender aussi comment ils étaient organisés et sous quel régime ils fonctionnaient. L’abondance des timbres et des graffites, qui ne trouve aucun parallèle dans le monde romain sur aucune zone d’ateliers connue, constitue à cet égard une formidable opportunité de faire progresser la recherche.

Enfin, nous chercherons également à obtenir des lots de prélèvements anthracologiques et malacologiques bien datés qui pourront être comparés entre eux. En premier lieu dans une perspective d’atelier (approvisionnement en combustible) et ensuite selon une logique environnementale plus large (écologie du bassin du Guadalquivir). La longue durée prise en compte permettra une lecture dynamique des évolutions qui ont due nécessairement toucher ces centres de production que l’on peut qualifier d’industriels. Un autre apport de la fouille concernera la collecte de noyaux d’olive carbonisés qui seront forts utiles pour préciser les variétés d’oliviers exploitées dans l’Antiquité sur les berges du Baetis.

Enfin, l’un des objectifs de ces opérations sera également de mettre au jour, soit dans un sondage profond à proximité du fleuve ou de l’un de ses nombreux affluents, soit à l’intérieur d’un puits, des restes d’olives conservés en milieu humide, à l’abri de la lumière, afin de procéder à des essais de séquençage ADN et de développer, en synergie avec les résultats carpologique, une analyse sur les variétés d’oliviers exploitées en Turdétanie dans l’Antiquité.

Les datations archéomagnétiques (Ph. Lanos)

L’archéomagnétisme repose sur deux phénomènes physiques : le premier est la variation du vecteur champ magnétique terrestre (CMT) au cours du temps, en intensité et en direction. Le second concerne la propriété des oxydes de fer présents dans les argiles d’enregistrer le champ magnétique ambiant sous forme d’une aimantation au cours du refroidissement consécutif à un chauffage supérieur à 700°. Elle s’avère très stable dans le temps en l’absence de réchauffage et garde ainsi la mémoire du CMT du moment de la dernière cuisson. La mesure de l’aimantation sur un ensemble d’échantillons prélevés in situ sur soles ou parois de four (c’est-à-dire orientés dans le repère géographique) permet de dater la dernière cuisson. Cette datation est possible grâce à la connaissance que nous avons déjà des courbes de variation de l’inclinaison et de la déclinaison du CMT sur les deux derniers millénaires, construites à partir de datations chrono-typologique, C14 ou bien par la thermoluminescence, établies sur des structures de cuisson (fours, foyers). La réalisation de prélèvements sur des fours à Dr. 20revêt deux intérêts primordiaux : en premier lieu, ils peuvent servir à dater l’abandon de fours pour lesquels on ne dispose pas d’éléments chronologiques discriminants ; en second lieu, ils peuvent confirmer ou infirmer les datations archéologiques et aident donc à mieux évaluer le phasage des éléments constitutifs de l’atelier ; enfin, dans le cas fréquent de fours empilés les uns sur les autres, ils apportent d’indispensables éléments de réflexion sur la durée d’utilisation des unités de cuisson. On peut également ajouter que les datations très fines apportées par les timbres calés chronologiquement entre le milieu du IIe s. et le second quart du IIIe s. (en raison de leur association avec des datations consulaires transmises par les marques peintes du Testaccio) devraient aider à affiner la courbe de référence archéomagnétique pour laquelle, justement, on manque encore de points d’ancrage chronologique pour cette période de quelques décennies. Pour finir, il faut également préciser que ces données archéomagnétiques et archéologiques sont également confrontées à des séries de datation C14 conventionnelles et C14 AMS et sont intégrées au logiciel« Chrono-modèle » développé par Ph. Lanos depuis 2008.

L’anthracologie (M. O. Rodrigez Ariza)

 La présence, au sein des ateliers de potiers, de nombreux fours destinés à la production d’objets en terre cuite et l’utilisation comme combustible, de bois et/ou bien de résidus d’activités agricoles a pour conséquence la présence de séries de charbons de bois bénéficiant de calages chronologiques précis. Leur analyse et leur identification comme résidus de combustion d’un certain nombre d’espèces ligneuses permet, selon des méthodes et principes développés pendant les années 1980-1990 à l’Institut de Botanique de Montpellier (travaux de Vernet et Chabal), de reconstituer, pour un site donné, le spectre des essences brûlées dans les foyers. La mise en perspective de ces résultats sur un arc chronologique détaillé autorise à« reconstruire » l’histoire des approvisionnement en combustible et permet de proposer, selon une modélisation mise en œuvre à Sallèles-d’Aude (fouille F. Laubenheimer), un schéma explicatif relatif aux relations entretenues entre l’homme et les espaces boisés (gestion raisonnée des taillis, prédation des ressources locales, apports extérieurs par flottage, etc…). Les lots de charbons de bois de Las Delicias, chronologiquement bien datés, ont été étudiés et analysés par Maria Oliva Rodriguez Ariza, professeur à l’Université de Jaen (Andalousie) et ont livré des résultats tout à fait intéressant montrant l’utilisation exclusive de chêne vert et de pistachier lentisque évoquant à la fois la proximité de milieux forestier dégradé de type garrigue, la gestion de ces milieux forestiers par le recours au cycle décennaux des taillis mais également l’intégration possible des ressources du pistachier dans l’économie rurale locale (gomme, résine, huile essentielle, fruits, etc…). L’objectif des prélèvements anthracologiques qui seront réalisés sur les deux ateliers fouillés est de confronter ces résultats à d’autres réalités et de déterminer dans quelle mesure, l’approvisionnement en combustible des ateliers, était établi sur un même modèle ou bien présentait des variations individuelles qu’il conviendra d’analyser au cas par cas.

La carpologie (J.-F. Terral)

A Las Délicias, la mise au jour d’une huilerie associée au quartier de production d’amphores a constitué, le point fort de la fouille. D’importants lots de noyaux d’olives, fragmentés ou entiers, provenant d’une dizaine de contextes bien datés (IIe et IIIe s.) permettent aujourd’hui de disposer d’un référentiel unique en Andalousie. Rappelons que ces résidus proviennent de l’utilisation, comme combustible, des grignons issus du broyage des olives. Ce broyage s’effectuait avec un orbis de trapetum ou bien avec une mola olearia et permettait l’obtention d’une pâte contenant la chair des olives, l’eau de végétation, l’huile et les noyaux. Cette pâte était disposée dans un second temps dans des scourtins, empilés les uns sur les autres puis pressés sur une maie. Une fois débarrassée de son huile, cette pâte était séchée puis utilisée comme combustible ce qui explique la conservation des noyaux et fragments de noyaux, carbonisés lors de leur passage au feu. Leur présence massive à Las Delicias indique d’ores et déjà que les grignons d’olives étaient massivement utilisés aux IIe et IIIe s. dans les fours à amphores comme combustible ce qui constitue une grande nouveauté. L’autre intérêt de ces lots de macrorestes est de livrer des précisions sur la ou les différentes espèces d’oliviers utilisées sur les berges du Genil, pour la production d’huile, aux IIe et IIIe s. L’obtention de nouveaux lots, sur d’autres ateliers distants de quelques dizaines de kilomètres permettra des comparaisons à la fois chronologiques et écologiques.

L’apport de l'éco-anatomie quantitative et de la morphométrie appliquées au bois et aux noyaux d'olivier, respectivement, sera ici être décisive : Le principe de l’éco-anatomie quantitative réside en la mesure des éléments vasculaires du bois et de leurs variations en fonction de paramètres écologiques, naturels ou anthropiques (Terral et Arnold-Simard, 1996 ; Terral, 1997, Terral et al., 2004a). Par l’observation de la structure du bois et du charbon de bois à différentes échelles (cernes annuels de croissance, anatomie à l’intérieur du cerne…), cette approche permet d’affiner nos connaissances sur l'olivier, les conditions de croissance de l’arbre, l’histoire de sa culture et l’évolution du climat.

Une autre méthode appliquée à la structure morphologique des noyaux sera également mise en oeuvre : la morphométrie géométrique (Terral et al., 2004b). Dans ce cas, l'étude vise à mesurer l’impact de déterminismes divers sur la géométrie du contour du noyaux dans le but d'identifier des groupes variétaux, de préciser leur origine et, sur la base de résultats acquis précédemment d'explorer les fluctuations spatiales et chronologiques de l'agrobiodiversité de l'olivier (Newton et al., 2014). L’étude et l’analyse des résultats obtenus à Las Delicias et sur les deux autres ateliers de la vallée du Guadalquivir, seront réalisés par Jean-Frédéric Terral, directeur de l’UMR5059 (Centre de Bio-archéologie et d’écologie) et PR à l’Université Montpellier II avec la collaboration de Laurent Bouby et de Sarah Ivorra (IR-CNRS) ; cette dernière assurera la coordination et l'encadrement technique de l'étude morphométrique (du tri aux analyses statistiques).