Littératures grises et pouvoirs : méthodes et pratiques

Coord. : Sylvain ANDRÉ, Julia CONESA SORIANO, Arnaud DOLIDIER, Lise FOURNIER (École des hautes études hispaniques et ibériques, Casa de Velázquez, Madrid)
Org. : École des hautes études hispaniques et ibériques (Casa de Velázquez, Madrid)

Lieu de célébration :
Casa de Velázquez
C/ de Paul Guinard, 3
28040 Madrid

Présentation

En deçà de ses manifestations visibles, en deçà des discours officiels élaborés dans des formes codifiées et institutionnalisées, le pouvoir emprunte bien souvent des itinéraires sous-jacents, cachés, inconsistants. Bien avant qu’elle ne s’énonce ni ne s’annonce en tant que tel, en théorie comme en pratique, toute forme de pouvoir est avant tout le résultat de multiples processus d’élaboration. Dans des mesures variables selon les époques et les lieux, ces travaux de l’ombre ont laissé des traces. Archives d’État, rapports, comptes rendus de réunion, dossiers d’informations, actes notariés, livres de compte, formulaires, correspondances, billets informels, polyptiques, travaux de fin d’étude, plans, études ou encore projets architecturaux ou urbanistiques en sont autant de témoins.

Une part de cette « littérature grise » (Auger, 1979 ; Farace, Schöpfel, 2010) peut être, à juste titre d’ailleurs, envisagée comme la résultante naturelle de tout outillage bureaucratique et se trouver ainsi directement associée à la production administrative. En suivant cette optique elle permet de mettre à jour les phases préalables aux décisions, de dévoiler les enjeux souterrains et parfois souverains qui préexistent à l’effectivité du pouvoir. En suivant cette méthode, on mettra alors en lumière ses empêchements, ses réussites, ses échecs et on n’en comprendra que mieux ses réalisations postérieures. De ce point de vue, ces écrits doivent être entendus comme la forge de la décision politique : un vaste et polymorphe envers du décor.

Mais la « littérature grise » déborde aussi ces limites en ce qu’elle constitue per se un discours. Un discours du pouvoir, d’une part, mais aussi et surtout un discours sur le pouvoir. En tant qu’ensemble de documents officieux, produits et diffusés à l’intention d’un public restreint, circulant à travers des canaux de diffusion informels et/ou destinés à un usage interne, ces pratiques scripturaires constituent une parole qui révèle le pouvoir en amont de sa propre expression (discours officiels, accords, négociations, etc.) ou de ses mises en œuvre concrètes (législations, réformes, etc.). S’il en est bien ainsi, l’analyse de ce type de documentation doit permettre d’éclairer sous un autre angle les rapports de force, les relations de pouvoir et les stratégies de gouvernement. Par les silences, les allusions, les dissimulations qu’elle comporte, la littérature grise constitue déjà un espace de pouvoir.

C’est pourquoi nous aimerions orienter notre réflexion non pas vers la définition théorique d’un pouvoir en tant que tel, visible et identifiable, mais au contraire vers la mise en lumière de la multiplicité de ses expressions indirectes. Identifier le pouvoir, cerner ses diverses ramifications, implique de s’interroger sur les non-dits et les non-lieux : écrire le pouvoir, c’est produire des documents qui formalisent des décisions prises en amont, des documents qui ne disent pas directement le pouvoir mais laissent entrevoir sa présence.

Cette journée d’études a pour objectif d’articuler une réflexion transdisciplinaire sur la production de ces discours qui conduisent à la mise en récit du pouvoir. Au plan méthodologique, si ce type de recherches a traditionnellement été investi par les historiens (programme de recherche École française de Rome : « Écritures grises. Les instruments de travail administratifs en Europe méridionale - XIIe – XVIIe siècle »), un élargissement aux autres disciplines des sciences humaines et sociales mérite d’être encouragé. Ainsi, l’histoire, la géographie, l’urbanisme, la sociologie, l’anthropologie ou encore la philosophie doivent être associées à une entreprise de réévaluation des possibilités épistémologiques offertes par les « littératures grises ». 

A cette fin, deux axes seront abordés. Le premier a pour vocation de partager réflexions et expériences sur les diverses méthodologies pouvant être utilisées. En creux, c’est la question de la nature de ces documents qui se pose, celle de leur matérialité. Le second volet de la journée tâchera de mettre en rapport cette documentation avec les pratiques de pouvoir.

Comité d’organisation

Membres scientifiques de première année à l’École des hautes études hispaniques et ibériques, Casa de Velázquez (Madrid) :

Sylvain ANDRÉ
Julia CONESA SORIANO
Arnaud DOLIDIER
Lise FOURNIER



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01/03/2022 - Français